mercredi 13 juin 2012

Des moments d'argile et de bonheur


Il y avait tout au bout des prés, une forêt qui n'en finissait pas. C'était la nôtre. Un royaume étendu du chalet jusqu'à l'Aisne. Parsemé de clairières et de chênes millénaires. Nous nous perdions tout exprès. Et tout près. Pour frissonner ensuite et rire de nos audaces.

Je me souviens de radins. De ravines. De fossés infranchissables. Je me souviens de torrents. C'était de petits rus où l'eau coulait si lentement…. Je me souviens d'arbres si hauts qu'ils en cachaient le ciel. Et quand il y avait du soleil, quelques faibles rayons perçaient en haut des cimes. Je me souviens de l'odeur des mousses après les pluies matinales. De la nuance exacte des trèfles que nous cherchions.  Je me me souviens de tout. 


C'était toujours une expédition. Nous enfilions nos bottes, jamais la même pointure aux deux pieds. Elles en avaient vu défiler, des générations d'aventuriers… Ces bottes sans couleur qui sentaient la poussière d'une année passée à attendre le retour des cousins. 
Puis venait le temps des recommandations. Que nous n'écoutions jamais. Et nous partions défier le monde avec pour seul arme une pelle et un seau.
Il fallait passer la clôture. Traverser un premier pré. Se faufiler sous les barbelés. Se méfier des vaches. Pénétrer sur le domaine du fermier en pensant commettre un acte irréparable pour enfin, parvenir à l'orée du bois. En se racontant des histoires de loup. Ou de renard, je ne sais plus. Qu'importe. C'est si bon d'avoir peur… 
Parvenus à mi-chemin, nous nous arrêtions fumer les lianes parasites de chênes à l'agonie. Nauséeux, mais heureux de casser un tabou. 
Hagards, la tête tournant, on apercevait déjà la proche sortie du bois, un halo de lumière. C'est là que nous retrouvions, chaque année, toujours aussi riche, aussi joli, aussi caché, notre petit ruisseau. Nos parents avant nous. Et leurs propres parents en avaient fait un trésor que l'on se transmet de génération en génération. 



Son eau était limpide, gelée. Sur une terre d'argile d'un brun-vert étonnant, pailleté d'or, que nous ramassions avec bonheur et délectation. Cette terre qui sauverait l'été. Des heures passées à la pétrir, la modeler, lui donner vie, et goût à nos temps morts. 
Ce tout petit ruisseau, il continue de couler. Sûrement. Mais le chalet a été vendu. Les bottes ont été jetées. Les seaux et les pelles traînent  dans le vieux garage. Le secret a été gardé. 
Alors si vous passez par Foigny, cherchez le "fond des Maures". Aux confins d'un vaste pâturage et d'une forêt vieille comme le monde, vous entendrez des rires d'enfants, cristallins et heureux.


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