samedi 28 juillet 2012

Une deux-chevaux, ça corne énormément.

Mamie ne klaxonnait pas. Non. Mamie cornait. Au volant d'une antique 2CV grise au plancher troué, elle dévalait les collines alentours accrochée au volant. Et nous, derrière, savions ce que cela signifiait : quelques frayeurs dans les tournants mais au final, quelques bonbons glanés à l'épicerie d'Origny...


Le pied figé sur l'embrayage, Mamie faisait rugir la vieille traction et enfumait le garage et nous avec. Il fallait faire chauffer l'engin plusieurs minutes avant de prendre la route, sans quoi elle calait avant même l'arrivée au portail pour ne plus démarrer. La 2CV vivait là à l'année. Et ne nous servait que pendant les vacances scolaires. Elle nous faisait donc bien souvent payer nos absences en refusant obstinément de ronronner. Une catastrophe pour nous qui devions alors grimper dans la Peugeot rouge bordeaux d'oncle Jean-Claude aux relents écoeurants de gitanes sans filtre. Cacole, comme l'appelait Xavier, n'existait pas sans son mégot calé au coin de la bouche. Autant dire que de deux maux, nous préférions la deux-chevaux grise conduite par Mamie...
L'intérêt, c'est que nous pouvions voir défiler la chaussée en baissant le regard. Le plancher mangé par la rouille laissait béants des trous toujours plus larges chaque saison. En général, nous restions recroquevillés sur la banquette, au cas où...
Foigny surplombait tous les lieux-dits, tous les villages de notre petit coin de Thiérache. A croire que nous habitions en montagne car toutes les routes qui partaient du chalet descendaient en zig-zag quelque que soit notre destination. Et Mamie cornait, cornait et re-cornait encore à chaque virage, en freinant brusquement et nous manquions chaque fois de passer par devant. Des ceintures, il n'y en avait pas. Pas plus que de gendarmes, pas plus que de voitures à croiser. Et pourtant, Mamie cornait. Au cas où des vaches traverseraient. Au cas où... 
Nous gloussions. Je la soupçonne aujourd'hui d'avoir accentuer ses pouets intempestifs pour entendre nos rires. Elle n'aimait rien autant que de nous voir heureux. Et nous n'aimions rien autant que de la voir sourire, subrepticement.
Les grands jours de ravitaillement, nous allions jusqu'à Hirson. Et parfois, en rejoignant l'unique nationale de la région, il nous arrivait de croiser d'autres deux-chevaux. Les vertes nous propulsaient dans un état d'excitation tel que je me souviens d'embardées mémorables de Mamie surprise par nos hurlements. C'était au premier qui crierait "deux chevaux verte sans retouche!!!!". Et de se pincer mutuellement jusqu'à ce que, fatalement, l'un d'entre nous pleure et que Mamie menace de ne pas acheter nos soucoupes volantes (bonbon belge, sorte d'hostie fourrée d'acide citrique absolument indigeste)




"La paix" clamait-elle. "La paix" ! Appel au respect. Appel au calme. Mamie ne criait jamais. Elle demandait. Et nous obéissions. Elle nous déposait à la piscine municipal d'Hirson. Les petits, les grands, sans surveillance aucune mais une interdiction : celle d'investir le grand bassin. Elle nous récupérait, les courses faites, et je vous passe les deux chevaux vertes au retour, les coups de corne pour
regagner le chalet et la bagarre pour savoir qui aurait l'honneur d'ouvrir le portail pour tenter ensuite, en courant, d'aller plus vite que Mamie jusqu'au garage en poussant des cris de triomphe.
Il y avait Xavier, Laurette, Sophie et moi. Anne et Marie-Aude lisaient le "Blé en herbe"affalées dans les champs. Charlotte et Amélie étaient encore petites. Xavier, notre idole, le plus grand, ne nous laissaient jamais gagner. Et Mamie souriait. Souriait...

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