vendredi 27 juillet 2012

Ecouter les heures...

Foigny. C'était un royaume enchanté. Un vaste chalet bâti sur une improbable colline de Thierache au milieu de nulle part, des vaches, des prés et des pommiers. Construit pour, d'après, et selon les enfants qui naissaient. D'un simple pavillon de chasse, il était devenue un domaine de brique rouge et de mosaïques venues d'on ne sait où. Sans douche. Ni chauffage. En bas, le cave, son puits et ses secrets. En haut, ses chambres, délabrées, sans confort. Et le parquet blindé d'échardes.




Encore un chapitre à ne parler de tout, de rien. Des brocs de pétrole qu'on montait pour nourrir les poêles à fuel, pour ne pas crever de froid. Des bidets dans lesquels on pissait parce que des toilettes, il n'y en avait qu'un. Du lait frais qu'on allait chercher à la ferme. Que Mamy faisait bouillir. Et nous en récoltions la crème pour cuisiner d'immangeables quatre quarts. Des fleurs de camomille qu'on ramassait pour concocter des lotions que Tante Martine faisaient macérer pour les chevelures de ses princesses. Que pourrait-t-on offrir d'aussi joli à nos enfants ?


Il y avait la chambre jaune. Et spacieuse. Celle de maman. Celle où j'ai dormi ma scarlatine au travers de rideaux ocrés qui transformaient ma peine en paradis doré.


Il y avait la chambre bleue, surveillée de près par Mamie, où Xavier et moi sautions sur des matelas défoncés jusqu'à ce que Jean-Claude vienne pousser sa gueulante de fumeur invétéré.


Il y avait la chambre de Marie-Laure, dotée d'un lit douillet avec, pour tout recoin, la collection complète de Lagaffe écornés.


Il y avait aussi la chambres des petites. Amélie n'était pas née. Sophie et Charlotte partageaient un domaine. Je ne me souviens pas si elle s'appelait d'une couleur, comme toutes les autres. Mais c'était juste la leur.


S'en suivait un couloir ou dormaient tante Zète et oncle Gérard. Une pièce magnifique dotée de mille fenêtres. Où les mouches se tiraient chaque jour une compétition du diable. C'était la chambre la plus vaste. Sans doute parce que Zète était l'aînée.


Tante Martine, oncle Didier dormaient en bas. Une chambrette surplombant un perron qui donnait sur notre balançoire. Et surtout qui jouxtait le salon où Mamie cachait la liqueur de cassis que nous nous acharnions à vider chaque nuit, quand les adultes dormaient, pour réajuster ensuite le niveau avec du sirop. Ou de l'eau, c'était selon.


Nous n'avions peur de rien. Enfin si, de Cacole. Oncle Jean-Claude était le seul à pouvoir maîtriser nos ardeurs mais chaque soir, après le repas, après le digestif, il regagnait sombrement sa maisonnette tout au fond du jardin. Les souris dansaient. La foire commençait. S'échapper d'une chambre, se faufiler au travers de celle de Mamie, se retrouver dans les couloirs, s'étouffer de rire, retrouver son sang-froid et exploser pour de bon parce que le parquet crissait, descendre l'escalier et glisser, bien entendu, piquer les gâteaux apéro juste pour l'interdit, se rendre compte que personne ne venait nous gronder et donc, donc, regagner notre lit...


Ma chambre à moi, c'était la plus petite. Quand vous n'étiez pas là, les cousins, quand je n'avais personne à réveiller, j'installais mon univers. Nini et sa clique. Mes poupées, mes désirs, mes projets pour le lendemain. Mes rêves, mes peurs et mes cauchemars.


Parfois l'orage grondait. Alors je faisais semblant de paniquer. Je criais. Mamie venait et sans un mot, elle me prenait dans ses bras, le chignon défait, et me portait jusqu'à sa chambre. Je me souviens du délice lorsqu'elle se levait à l'aube pour renouer sa longue chevelure grisonnante. Je l'observais, les yeux mi-clos. Elle n'en n'a jamais rien su. Je ne lui ai jamais dit. Mamie ne s'offrait pas au regard des autres sans une coiffure parfaite.
Ecouter les heures, penser les minutes, vivre les secondes. C'est inventer le monde. C'est ce que j'ai appris. A Foigny.







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